Biographie de Roch-Ambroise-Cucurron Sicard, dit l'abbé Sicard (1742 - 1822)
Roch-Ambroise-Cucurron Sicard, plus connu aujourd’hui sous le nom de l’abbé Sicard, est né le 20 septembre 1742 au Fousseret, une petite ville dans le Languedoc.Il fait ensuite ses études à Toulouse où il est ordonné prêtre. Il finit par attirer l’attention de l’archevêque de Bordeaux, Marie Champion de Cicé (1735-1810). Ce dernier a créé une école en faveur des sourds-muets défavorisés en 1782, dont on peut consulter la liste des premiers élèves ici. Elle a été fondée sur le modèle de celle de l’abbé de L'Épée. Champion de Cicé décide de mettre Sicard à sa tête. Afin de le rendre capable de cette tâche, l’archevêque l’envoie à Paris en 1785 afin qu’il apprenne de l’abbé de L'Épée lui-même la méthode qu’il pratique et qu’ensuite il puisse la mettre à exécution dans l’école de Bordeaux. Cela fonctionne bien, notamment auprès d’un jeune sourd, nommé Jean Massieu. Ce succès lui apporte une grande renommée, qui lui permet d’être nommé Vicaire général de Condom et chanoine de Bordeaux. Il devient alors également membre de l’Académie de la Gironde.
Le 22 avril 1786, l’abbé de L'Épée écrit à l’abbé Sicard, alors secrétaire du Musée et instituteur gratuit des sourds-muets dans la maison Saint-Rome à Toulouse, au sujet de l’envoi du Dictionnaire des sourds-muets, rédigé par le premier. Il s’agit du manuscrit de celui-ci, qu’il demande à Sicard de faire copier afin de le récupérer par la suite. Cette lettre se finit sur de nouveaux conseils d’enseignement par l’abbé de L'Épée. Il existe également une lettre où la méthode de Sicard utilisée sur ses élèves sourds, probablement ceux de Toulouse ou de Bordeaux, est remise en question par l’abbé de L'Épée.
En 1789, l’abbé de L'Épée décède. Sicard, auteur du livre Mémoire sur l’art d’instruire les sourds-muets de naissance (1789), se présente alors, « appuyé par l’opinion publique » nous dit Ferdinand Berthier, au concours que vont ouvrir les commissaires des trois académies existantes pour tenter d’occuper la place vacante. Face à lui se trouvent deux autres ecclésiastiques, les abbés Massé et Salvan. Ces deux derniers se sont retirés du concours ; certains diront que c’est parce qu’ils reconnaissaient la supériorité de Sicard. Ce n’était pas le cas de tous.
Il devient alors directeur de l’Institution de Paris en 1790. Par ailleurs, l’abbé Salvan prend la place de second, en qualité d’instituteur adjoint. Au même moment, l’Assemblée nationale déclare que l’Institut de Paris est dorénavant soutenu par les frais de l’État, et non plus seulement à la force des dons de particuliers ou de la fortune de son directeur. Auparavant, c’était l’abbé de L'Épée qui soutenait lui-même financièrement son établissement. Seulement cet état de financement n’est pas toujours le plus idéal, contrairement à ce qu’avance Berthier dans son ouvrage. En effet, tout d’abord, il existe une société de bienfaisance qui soutient l’Institution et ce, jusqu’à ce qu’elle soit fait fermer par l'État. Ce dernier promet de compléter ce qu’il donne alors à l’Institution par le manque à gagner. Mais tout cela ne suffit pas à nourrir et vêtir les enfants, et encore moins payer les instituteurs ou les travaux nécessaires au sein des lieux d’enseignements, que ce soit l’ancien couvent des Célestins ou le séminaire de Saint Magloire.
En 1791, l’abbé Sicard avec Valentin Haüy rédige une lettre de plainte : ils mentionnent des vols d’objets de culte dans l’église qu’ils partagent dans l’ancien couvent des Célestins.
En 1792, plus précisément le 26 août, l’abbé Sicard est arrêté. Il est inculpé d’avoir donné asile à des prêtres réfractaires. Il est donc incarcéré, même s’il est de notoriété publique qu’il est du côté des révolutionnaires : il a prêté serment à la Liberté et à l’Égalité, peu avant, début août 1792 lors de la promulgation de décret de l’Assemblée législative. Il aurait confirmé ce serment par un don de 200 livres, bien qu’il ait refusé à ce moment-là de prêter un nouveau serment qui serait aller contre ses opinions religieuses. Il retrouve dans sa cellule le curé de Saint-Jean en Grève, ainsi que d’autres amis et connaissances. Le lendemain matin, le 27 août 1792, se présentent devant la prison de l’abbé Sicard ses élèves menés par Jean Massieu. Ils ont alors un projet de pétition conçu pour l’Assemblée législative. Cette supplique est également portée devant l’Assemblée elle-même, lui aurait valu des applaudissement et l’ordre au ministre de l’Intérieur de rendre compte des chefs d’accusation. Le 2 septembre, l’abbé Sicard est toujours prisonnier. En parallèle de cela, ses accusateurs continuent à mettre tout en œuvre pour éviter sa libération, disant de lui qu’il s’agit d’un « fauteur de la tyrannie, qu’il entretient une correspondance avec les tyrans coalisés et qu’il faut se hâter de le destituer et de le faire remplacer par le savant et modeste Salvan ». Il monte dans une voiture dans laquelle il est assis avec Marivaux. D’autres voitures les suivent. Ils avancent au milieu d’une population échaudée, escortés par des soldats qui insultent également les prisonniers. C’est alors que la première voiture est attaquée, où Sicard est épargné – probablement cachés par les corps des autres – alors que les quatre autres occupants sont tués. Sicard réussit à s’extirper de la voiture, appelle au secours des gens alentour et est reconnu par quelqu’un qui l’extirpe de là. Il réussit à s’échapper jusque dans la salle du Comité de la section des Quatre-Nations. Mais une femme trahit alors sa présence en ce lieu. Après une dernière prière, la porte s’ouvre, et les assaillants sont sur le point de tuer Sicard. Ce dernier est sauvé par l’horloger Monot qui annonce répondre de sa vie. Grâce à ce bouclier, il argumente pour sa vie et c’est son nom, et le travail qui lui est associé, qui l’aurait sauvé. Il n’est pas encore sûr pour lui de rentrer à l’ancien couvent des Célestins . Il dort donc dans une salle contiguë à celle du Comité. Il y est finalement enfermé et il entend que les assaillants sont à nouveau près à venir le tuer. Grâce aux deux hommes avec lui dans la salle, il réussit à s’échapper par le plafond. Entre temps, ses ennemis réussissent à faire déclarer un arrêt de mort pour Sicard : son exécution est prévue dans l’après-midi du 4 septembre . Sicard l’apprend et écrit à un ami député. Grâce à cette lettre, la Chambre ordonne à la Commune la libération de Sicard, mais ce décret n’a pas eu le succès escompté. On le mène alors à l’Assemblée nationale où il s’exprime en sa faveur. Le jour suivant, le 5 septembre, on lui apporte l’arrêté du 1er septembre le concernant.
En novembre 1795, lors de la création de l’École normale supérieure, on lui y octroie une chaire de professeur. La même année, le 25 octobre 1795, est créé l’Institut de France, dans lequel l’abbé Sicard est également admis par la suite, et plus particulièrement dans la section grammaire générale.
En 1796, l’abbé Sicard peut enfin reprendre, à 54 ans, les rênes de l’Institution. Ce dernier a changé de localisation : il se trouve alors au séminaire de Saint Magloire, dans la rue Saint-Jacques à Paris. Toujours en 1796, l’abbé Sicard publie Catéchisme ou instruction chrétienne à l’usage des sourds-muets, ainsi que le Manuel de l’enfance, contenant des éléments de lecture et des dialogues instructifs et moraux dédiés aux mères et à toutes les personnes chargées de l’éducation de la première enfance .
Pour défendre la cause des prêtres réfractaires, il coopère activement aux Annales religieuses, politiques et littéraires. Prudent, il y écrit des articles parfois sous son nom, parfois sous un nom de plume « Dracis ». Cela n’est pas suffisant, car un arrêté est pris le 18 fructidor de l’an V (5 septembre 1797) : il est inscrit sur la liste des journalistes qui devraient être déportés à Sinnamary. Il réussit à éviter cela en se réfugiant dans le faubourg Saint-Marceau.
Pendant deux ans, de 1797 à 1799, il compose son Cours d’instruction d’un sourd-muet de naissance.
L’abbé Sicard cherche également à se laver de son accusation d’ultramontanisme, mais en vain. Pour tenter quelque chose, il rédige un désaveu complet de la part prise aux Annales catholiques. Il n’est toujours pas réadmis dans ses fonctions, maintenant, de 1797 à 1799, un certain Alhoy à sa place de directeur de l’Institution. Ce dernier est démis de ses fonctions après la révolution du 18 brumaire (9 novembre 1799), rendant par le même coup ses fonctions à l’abbé Sicard.
Dès sa reprise de poste, en janvier 1800, l’abbé Sicard met en place une imprimerie desservie par les élèves eux-mêmes. D’autres de ses élèves sont employés dans plusieurs administrations publiques.
L’abbé Sicard est appelé à remplir le rôle d’interprète lors du procès de François du Val, sourd, le 21 août 1800 (3 fructidor de l’an VIII). Sicard est alors assisté de Massieu.
En 1800, l’abbé Sicard publie Cours d’instruction d’un sourd-muet de naissance pour servir à l’éducation des sourds-muets, et qui peut être utile à celle des enfants qui entendent et parlent, avec figures et tableaux.
Durant le temps de mise à l’écart de l’abbé Sicard entre 1797 et 1799, le directeur s’est en effet également fait retirer ses fonctions au sein de l’Institut de France. Elles lui sont rendues en 1801, par Napoléon Bonaparte, alors Premier Consul. Ce dernier apprécie également les mérites de la méthode de l’abbé, puisqu’il fait venir aux Tuileries, Sicard et ses élèves, Massieu et Clerc, pour une démonstration.
A la faveur de l’arrêté consulaire de réorganisation de l’an XI (1802-1803), il est désigné pour la classe de littérature de l’Institut de France.
Les leçons publiques de l’abbé Sicard excitent pas mal les foules. Ces exercices sont mensuels, pour un public toujours plus nombreux et souvent composé de personnalités éminentes. Pour attirer toujours plus de monde, des tracts sont distribués en amont dans la capitale. L’élève qu’il y met principalement en scène est Jean Massieu. Sicard est particulièrement doué pour amadouer et captiver son auditoire grâce à sa prose. Cela a lieu trois fois par semaine, les mardi, jeudi et samedi à midi. Mais ces triomphes ne sont pas toujours unanimes.
Le 23 février 1805, l’abbé Sicard a l’occasion d’accueillir au sein de son établissement le pape Pie VII (1800-1823). Le pape, avant de se rendre dans la salle des exercices, bénit la chapelle de l’établissement. L’abbé Sicard prononce une allocution à l’adresse du pape, puis commence à montrer les procédés de sa méthode. Massieu et Laurent Clerc sont particulièrement mis en avant. Tous les élèves participant à la démonstration prononcent quelques mots, impressionnant le pape.
Au cours de l’année 1805, l’abbé Sicard publie également Journée chrétienne d’un sourd-muet.
En 1806, l’abbé Sicard entre dans la commission du Dictionnaire de l’Académie française et est nommé administrateur de l’Hospice des Quinze-Vingts et de l’Institution des jeunes aveugles. Il est également nommé chanoine honoraire de Notre-Dame de Paris, grâce au cardinal Jean-Sifrein Maury.
L’abbé Sicard publie en 1814 Les éléments de grammaire générale appliquée à la langue française. Il est plusieurs fois réédité. La même année, la légion d’honneur lui est accordée. Cela sera complété par la suite par l’ordre de Saint-Michel.
Le 11 mai 1814, l’Institution de sourds-muets de Paris reçoit la visite de l’empereur d’Autriche, François Ier d’Autriche. L’abbé Sicard lui présente alors sa méthode. Jean Massieu participe également à cette présentation. La même année, l’abbé Sicard a également l’occasion de rencontrer le tsar de Russie, Alexandre Ier. Ce dernier a entendu parler de la méthode de Sicard en Russie et aurait souhaité l’y mettre en place. Il a également une correspondance avec la reine de Suède, Hedwige de Schleswig-Holstein-Gottorp. Celle-ci lui remet également la décoration de l’ordre royal de Vasa entre 1814 et 1815. L’abbé Sicard reçoit également la décoration de l’ordre de Saint-Wladimir de Russie. C’est également en 1814 que la quatrième édition d’Éléments de grammaire générale, appliquée à la langue française en deux volumes est publiée.
En mai 1815, pendant les Cent-Jours, l’abbé Sicard part pour Londres, emmenant avec lui Massieu et Clerc, ainsi qu’Armand Godard, frère d’un riche manufacturier. Cela aurait dû être interdit pour les deux premiers élèves, puisqu’ils sont répétiteurs, ne pouvant à cause de cela ne prendre congé qu’avec l’accord du ministre ou de l’administration. Sicard a laissé l’école entre les mains de Salvan pour l’instruction et du baron Degérando pour l’administration. Arrivé à Londres, il ne trouve personne pour le loger. Pour remédier à ce problème, il met en place des exercices publics. Cela permet d’écrire un recueil des questions et des réponses les plus souvent posées aux sourds-muets, auquel on joint un alphabet manuel et le discours d’ouverture de l’abbé Sicard, ainsi qu’une lettre explicative de sa méthode par Laffon Ladébat, avec des notes et une traduction anglaise. C’est seulement lorsque l’Empire a chuté en juillet 1815, que Sicard et ses élèves peuvent rentrer en France.
En 1817, l’ancienne église de Saint-Magloire prend feu. Ferdinand Berthier, ayant 14 ans et étant présent lors de l’incendie, rapporte : « On se précipita dans nos dortoirs, on m’emporta de mon lit sans me laisser le temps de m’habiller, et je fus requis pour faire la chaîne avec mes condisciples. Trompant bientôt la vigilance de nos surveillants, je quittai le jardin pour voir ce qui se passait autour du bâtiment menacé. Quel ne fut pas mon effroi en apercevant un des nôtres, Carbonnel (de Béziers), qui, par ses tours de force extraordinaires, avait mérité le surnom d’Hercule des sourds-muets (outre qu’il en avait la structure), fonctionnant sur le théâtre du sinistre avec tout le sang-froid et toute l’agilité d’un sapeur-pompier. »
Le 17 août 1818, Sicard offre au roi un exemplaire d’Essai sur l’introduction à la connaissance des signes et du langage naturel rédigé par Roch-Ambroise-Auguste Bébian.
Ayant passé les 80 ans, l’abbé Sicard s’affaiblit, retombant presque en enfance. Il n’a plus non plus beaucoup d’argent, malgré ce qu’a pu lui donner Massieu tout au long de sa vie. Beaucoup essaient de le faire démissionner de sa fonction de directeur de l’Institution. Il finit par mourir le 10 mai 1822.
A titre posthume est publiée une seconde édition de la Théorie des signes, pour servir d’introduction à l’usage des langues, où le sens des mots, au lieu d’être défini, est mis en action en 1823.